"Taitoit", du verbe taitoire : la dictée est-elle stigmatisante pour les élèves ?
"Face aux commentaires suscités par son article sur la "dysorthographie" et les fautes de langage qui retirent des points lors des dictées, Françoise Rouillon, orthophoniste, rappelle qu'elle n'est pas hostile à cet exercice. Mais que ce n'est pas pour autant qu'il faut lui attribuer tous les mérites.
L’acte d’écrire est éminemment complexe et nécessite la concomitance de nombreux facteurs : perception visuelle et auditive, motricité, latéralité, orientation dans l’espace et dans le temps, compétences linguistiques sur l’articulation, le vocabulaire, la syntaxe, la compréhension, elles-mêmes liées à des structures de pensée, envie de communiquer, culture de la langue écrite, connexions entre les différentes aires du cerveau, connaissance des règles de lecture…La difficulté à orthographier n’est qu’un symptôme qui peut être lié à de nombreux dysfonctionnements, qui doit être analysé et qui ne doit pas être traité en tant que tel.
Exercice enrichissant, thermomètre des acquisitions
Pour l’enfant "sans difficulté d’apprentissage", il s’agit d’un exercice extrêmement enrichissant, qui est souvent une première approche d’une langue écrite structurée. Elle permet la réflexion sur la grammaire, l’enrichissement du vocabulaire, l’apprentissage de l’orthographe d’usage, l’abord de beaux textes, une recherche pleine d’hypothèses et de déductions.
Elle permet aussi comme les autres activités de transposition que sont la copie, la répétition, la lecture à haute voix, de développer et de stimuler des faisceaux associatifs, liens entre les différentes aires du cerveau agissant en même temps pendant une activité.
Pour l’adulte, il s’agit d’un thermomètre qui permet de mesurer les acquisitions et les difficultés d’un enfant, miroir de son niveau de compétence linguistique.
La stigmatisation, un danger de la dictée
Elle n’enrichit que celui qui est déjà riche, elle stigmatise les autres.
De plus la correction leur rappelle une fois encore ces règles d’orthographe connues qu’ils sont incapables d’appliquer. Comment écrire correctement un verbe conjugué que l’on a appris par cœur et dont on peut réciter et orthographier tous les temps dans une activité de conjugaison propre quand on ne reconnaît ni le verbe ni son temps dans un texte ?
Voici quelques exemples :
Il alaire ; c’est le verbe alairer
Taitoit ; c’est le verbe taitoire
Tu balas mesure ; c’est le verbe balayer
Je vais au cinéma ; le verbe est à l’imparfait, terminaison -a-i-s
Ce matin je lui ai donné rendez-vous ; le verbe est au présent puisque c’est aujourd’hui
La lampe est allumée ; le verbe est au passé puisqu’il y a un auxiliaire
Comment reconnaître la fonction des mots quand la grammaire est devenue bourrée d’inexactitudes à force de simplifications. La place d’un mot permet de reconnaître sa nature. L’ordre des mots permet de comprendre le sens de la phrase et connaître la fonction des mots. Pour trouver le COD, il faut poser la question "qui ? quoi ?" après le verbe. Pour trouver le COI, il faut poser la question "à qui ? à quoi?" après le verbe.
J’ai reçu un cadeau ; j’ai quoi ? reçu, donc reçu est COD du verbe avoir
Eric à un frère peintre ; a accent, car un frère peintre est COI, on pose la question "à qui ?"
La dictée n'est pas une solution
La dictée est devenue la panacée. Elle n’enrichit que celui qui est déjà riche ? Peut-être pas ! Étant un outil facile à utiliser et à exploiter, elle est le centre d’un bon nombre de logiciels éducatifs proposant astuces et trucs. L’outil informatique est à l’honneur dans la publicité et vante quotidiennement les mérites d’un nouveau logiciel pour une rééducation dans le vent ou pour un nouveau bilan qui, en conclusion, indiquera les exercices ciblés supposés tout résoudre.
Et cet outil, apprécié par ses partisans pour sa neutralité et l’abord sans complexes qu’en ont ses utilisateurs, se permet des jugements bien engagés du type : "Tu t’es trompé !", "Regarde mieux !", "Je sais que tu peux faire mieux !", "Je te donne une autre chance !", "Concentre-toi et réfléchis bien !", "Tu n’as pas assez réfléchi, pourtant regarde, ce n’était pas dur !", "Aïe, aïe, aïe, fais attention !" ou, à l’inverse, "Quel bon joueur !", "Cet exercice est terminé, voyons ce que tu as gagné !", "Bravo, je suis fier de toi !".
Nous dépensons beaucoup d’énergie à vouloir traiter le symptôme, à chercher des gadgets, à enseigner ce qui s’apprend et se construit mais ne s’enseigne pas.
Pour les enfants en difficulté, aucune réforme de l’orthographe, aucun rabâchage, aucune méthode d’apprentissage aussi moderne soit-elle ne sera un soulagement. La dictée, comme bien d’autres exercices, est un révélateur, surtout pas une solution."
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